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Aventure au Rio...
... ou comment les quilles poussent en eau douce...

L'histoire commence à Guanaja, quand nous discutons avec Guy, un ami navigateur. Il nous parle du Rio Dulce et du chantier Magdalena, tenu par Abel, qui lui a fait un beau carénage pour un prix intéressant. Les prix intéressants, ça nous intéresse particulièrement. Cela fait quelques temps que nous cherchons un chantier à prix abordable pour refaire l'antifouling d'Anegada, mis à mal par les eaux de Carthagène l'été dernier. Nous connaissons le Rio Dulce, qui mène au lac Izabal au Guatemala. L'an dernier, à Cuba, tous les français que nous rencontrions s'y rendaient pour la saison des cyclones. On imaginait le Rio bien encombré... et de toute manière ce n'était pas pour nous puisqu'avec nos 2 m de tirant d'eau, nous aurions eu des difficultés à passer la barre, un banc de sable qui ferme l'entrée de la rivière.

Erreur ! Selon tous les bateaux croisés à Guanaja et à Roatan, il n'y a aucun problème pour entrer dans le Rio avec 2m. Il suffit de choisir la marée haute. Du reste, Ad Hoc vient de sortir sans toucher, Marsouin également et Sylver Cloud y va prochainement... tous avec le même tirant d'eau que nous (même plus puisque sur notre immatriculation, nous avons 1m98.

C'est décidé, nous allons caréner à Rio Dulce, 20 nm à l'intérieur des terres. Quelle aventure !

Je cherche les tables de marée sur internet et me rend compte qu'elles sont très faibles. Les plus hautes en février varient entre 1 pied et 1,6 pied. Je fais de savants calculs au millimètre près pour me persuader que la marée du 8 février, de 1,25 pied, sera suffisante. Un peu inquiète tout de même (quand nous nous sommes plantés à Cuba, l'an dernier, il m'avait semblé que notre sillon était à un peu plus de 2m. Nous sommes peut-être un peu chargés... et enfoncés), j'essaie de vérifier notre tirant d'eau avant de quitter Utila. Pierre sort le plan du bateau pour vérifier la hauteur de la ligne de flottaison, sans succès. Par contre, sur le propectus du bateau, il découvre avec stupeur que le tirant d'eau indiqué pour la version quillard du Sun Kiss est de 2m10 ! Notre immatriculation, copiée sur celle des anciens propriétairtes, est fausse ! L'aventure se corse !

J'envoie un mail à Jean-Luc de La Soghia que nous devons rejoindre à Rio Dulce. Il a un tirant d'eau de 2m10 et il me répond qu'il est entré sans aucun problème avec une marée de 1,5 pied et qu'il pensait avoir encore 10 cm de marge sous la quille. C'est rassurant ! On devrait passer ! Au pire, on fera giter le bateau.

Mardi 8 février, nous sommes à l'ancre à la bouée d'entrée du "chenal", invisible dans cette eau verte. Nous avons les waypoints de Jean-Luc inscrits sur le traceur de carte. Nous préparons un système pour donner de la gite au bateau si jamais : l'annexe suspendue en bout de bôme et chargée de 3 bidons de 20 l de fuel. Une lancha vient nous demander si nous avons besoin d'aide. "non, non, nous avons tout prévu, nous allons nous débrouiller tout seuls, comme des grands !"

50 m après la bouée, nous sommes plantés ! Moteur à fond (certains passent en force qu'on nous a dit !), cela ne bouge pas d'un pouce ! Plan D à exécution, l'annexe est hissée et pour donner plus de gîte, je vais aussi en bout de bôme suspendue à la drisse de spi. Le bateau prend 10 ° mais ne bouge toujours pas. Heureusement, la lancha est restée à proximité, sentant le bon coup. Nous lui donnons une drisse de tête de mât rallongée d'un long cordage. Et le ballet commence : la lancha tire sur notre mât perpendiculairement à la route pour nous donner un maximum de gîte. Moteur à fond, nous avançons de quelques mètres puis prenons de la vitesse. L'annexe, toujours suspendue, se met en travers en touchant l'eau et se renverse. Tout part à l'eau. La lancha vient à notre secours et ramasse les jerrycans. Puis on recommence, avec l'annexe en remorque cette fois-ci. Mais à chaque fois que la tension se relâche, nous touchons à nouveau. Pierre ne peut pas diriger le bateau et petit à petit nous sortons du chenal. Il faut encore plus de gîte. Pour nous recentrer, nous essayons dans l'autre sens. Après une heure trente d'efforts et quelques gallons d'essence, nous arrivons enfin devant le quai de Livingston. Même là, nous touchons et nous demandons à nos sauveteurs de nous amener plus loin, dans des eaux plus profondes. Ouf ! Cela nous aura coûté 100 dollars et un bon sablage du bas de la quille ! Du coup, on attendra des marées plus importantes pour sortir !

Quelques jours plus tard, Anegada est hors de l'eau au chantier Magdalena. Nous en profitons pour mesurer précisément notre quille... on n'y croit pas... nous avons 2m20 de tirant d'eau ! Et pourtant, la flottaison n'est pas enfoncée quand nous naviguons. Nous ne sommes pas surchargés. Seule conclusion possible : l'eau douce fait pousser les quilles !

Mais revenons à notre entrée... Après ces émotions, la magnifique remontée du Rio au coucher du soleil nous récompense. Le spectacle est magique. La jungle descend jusqu'à la rivière et il y a des oiseaux partout. Les pélicans plongent devant nous ou attendent le poisson à côté des barques de pêche, les cormorans ont toujours l'air de couler avec juste leur tête qui dépasse de l'eau, les aigrettes se perchent sur les arbres et font des taches blanches dans la verdure. Des lanchas rapides nous dépassent. Sur les bords de la rivière, sous les branches tombantes, les indiens se faufilent en pêchant depuis leur pirogue. D'autres lancent avec habilité leur épervier. Les maisons ont de magnifiques toits de palme. Nous n'allons que jusqu'à l'entrée de Golfete, à Texan Bay, car la nuit va tomber. Une fois que les derniers clients ont quitté le bar de la petite "marina" (heureusement les soirées sont rarement très longues aux Caraïbes), nous n'entendons plus que les bruits de la jungle, les oiseaux et de drôles de coups saccadés que nous n'arrivons pas à identifier. Pics ? Grenouilles ?


La remontée de Golfete, un petit lac dû à l'élargissement de la rivière, se fait tranquillement au moteur. Le fond est de 4 m tout du long. Bien assez pour nous épargner de nouvelles frayeurs ! Après deux heures de route, nous approchons de la zone des marinas. Si les premiers navigateurs ayant remonté le Rio ont été de vrais explorateurs, nous sommes maintenant juste des plaisanciers parmi des centaines d'autres profitant de ces eaux douces, calmes et bien protégées. Des pontons de bois offrant leurs amarres à quelques bateaux se nichent dans tous les recoins. Nous sommes à la pleine saison de navigation et pourtant nombreux sont encore les voiliers à quai. La sécurité du plan d'eau, la gentillesse des habitants, la beauté du paysage ont retenu prisonniers volontaires nombre de navigateurs. On a même vu des quilles tronquées de 10 à 20 cm pour passer la barre plus facilement, au détriment des qualités marines du bateau qui ne seront de toute manière plus utilisées. Cela devient une caravane flottante. D'autres personnes quittent leur bateau ou le vendent et achètent du terrain pour se construire une jolie maison au toit de palme. On peut les comprendre !

Quelques marinas de plus grande envergure et deux chantiers occupent les rives proches du grand pont enjambant le Rio. Ce pont relie le sud au nord du pays et le traffic y est intense. Une bourgade s'est développée le long de cet axe important et nous découvrons avec ravissement les petites échoppes, les stands de fruits et légumes magnifiques et la vie grouillante de Rio Dulce, alias Fronteras. Pas de trottoir, les stands de fritures diverses sont à même la route et les énormes camions transportant du bois, des vaches ou des citernes marquées "inflammable" les frôlent à quelques centimètres.

Nous nous asseyons pour manger une tortilla et regardons par la fenêtre comme si c'était une télévision. Les hommes portent souvent un grand chapeau blanc, une chemise de toile et un ceinturon... comme des cow-boys. Il y a du reste un magasin qui vend des selles. Les femmes de la communauté quechi, une des communautés mayas, ont de grandes jupes plissées, tissées de fils très colorés et une blouse en dentelle. Elles portent les bébés sur le dos grâce à une sangle sur leur front. Les taxis sont de jolis touc-touc rouges.


Quand c'est jour de grand marché (trois jours tous les deux mois), les habitants des campagnes viennent à la ville entassés, debout à l'arrière d'un pick-up. Dans un parc à l'entrée bien gardée où il faut montrer patte blanche, de longues queues se forment. Nous nous renseignons, toujours curieux. Il s'agit de la distribution des allocations familiales ! Cela vaut donc bien la peine de voyager debout pour venir à la ville !

Au bord de l'eau se tient le marché aux poissons et surtout aux crevettes, pêchées à l'embouchure du Rio. On en fait une cure... ça change de la langouste ! Ils vendent aussi des petits crabes aux pinces bleues. Comme d'habitude, Pierre (cherchez-le dans la foule...) se régale de chiner, fouiner et découvrir de bonnes affaires ou de nouvelles choses à goûter.

Mais le temps est venu de sortir Anegada de l'eau au chantier Magdalena. Nous en profitons pour faire une escapade de deux jours au site de temples mayas de Tikal. Quatre heures de bus local aux sièges bien défoncés et courant d'air remplaçant la clim (mais il ne fait pas chaud !!!) nous amènent à Flores, une presque-île sur le lac Peten. Les maisons nous font penser à Trinidad de Cuba. Basses, colorées, une sur deux abrite un restaurant, une boutique ou une agence touristique. Le tissage est l'artisanat principal du pays et je craque pour le tissu des jupes typiques des indiennes quechi. Je sortirai la machine un jour pour m'en faire deux coussins !


C'est de Flores que s'organisent les visites de Tikal. Nous rencontrons beaucoup de jeunes voyageant sac au dos... d'autant que nous avons choisi l'économie pour notre hôtel ! Départ à 4h30 du matin pour les courageux qui veulent voir le lever du soleil depuis le templs IV. Pas nous... la météo annonce couvert ! Nous partons à 7h pour 1h30 de bus, encore, avant d'entrer dans ce parc de 576 km2 envahi par le jungle. A l'époque, entre environ 800 ans avant J-C et 800 ans après J-C, toute la zone était cultivée et habitée. On ne sait pas pourquoi les Mayas ont disparu et leurs sites ont été oubliés et envahis par la forêt. Ce n'est qu'en 1848 que Tikal a été découvert et actuellement encore de nombreux temples sont sous la végétation. Mais cette ballade dans la jungle, de temple en temple, a bien du charme. Les singes-araignées jouent au-dessus de nos têtes, des sortes de paons picorent sur les places et les touristes ne sont pas encore arrivés. On visite donc la place principale dans des conditions idéales. A mon étonnement, Pierre insiste pour monter sur le temple IV, d'où la vue sur la forêt et les autres monuments qui dépassent est superbe. Je me demande comment il va redescendre toutes ces marches ! Heureusement il y a une barrière solide et il s'appuie sur les bras pour soulager ses genoux.



De retour au bateau, je visite seule (Pierre doit se remettre de ses excès) le château de San Felipe qui garde l'entrée du lac Izabal. Au XVIème siècle, les espagnols avaient des entrepots au sud du lac, qui regorgeaient de marchandises convoitées par les pirates de la région. Un protection devint vite nécessaire et le château s'agrandit au fil des ans, des attaques, des destructions et reconstructions. Je suis impressionnée par la qualité de l'accueil, l'entretien du parc et le billet d'entrée qui tient lieu de feuillet explicatif. Le long de l'allée joliment arborisée, un petit groupe de tombes qui semble montrer qu'au Guatemala, plus qu'ailleurs, la mort fait partie du quotidien... (Il n'y a qu'à lire les journaux pour s'en convaincre: les nouvelles ne parlent que de meurtres, assassinats et autres horreurs !) Comme nous l'avions déjà remarqué depuis le bus, les cimetières ne sont pas fermés, clôturés, ils sont en pleine nature et les tombes sont aussi colorées que les maisons.

Anegada est remis à l'eau beau comme un sou neuf. Nous sommes très satisfaits du chantier et de ses prix très intéressants. Nous préparons notre retour à l'eau salée, un sentiment d'être emprisonnés nous gagnant petit à petit. C'est à Texan Bay, un mouillage complètement entouré de forêt que nous attendons la marée haute. Nénuphars et roseaux cachent des grenouilles (cette fois on les a identifiées !) qui nous font un véritable concert la nuit. Nous assistons à l'inauguration d'un nouveau restaurant, projet des femmes de la communauté locale de Cayo Quemado. Cette communauté est très accueillante et apprécie la venue des étrangers, voiliers ou nouveaux proprétaires terriens, qui leur apportent un peu de travail et d'autres ressources que la pêche. 23 femmes participent au projet... elles devront encore apprendre à s'organiser car nous avons attendu au moins deux heures nos deux assiettes de crevettes ! Les hommes ont mis leurs bras à disposition pour construire cette belle maison au toit de palme promis à une durée de vie de 10 à 12 ans. La construction traditionnelle n'empêche pas la modernité...un jeune indien passe de la musique stockée un petit ordinateur portable. A part cela, il pleut et nous pensons que cela remontera encore le niveau (?)... en attendant, cela remplit nos réservoirs... mais pas trop car nous serons trop lourds... Holala ! Vivement qu'on ait de l'eau sous la quille !

Dernier jour dans le Rio... nous explorons en annexe toutes les baies de la zone de Cayo Quemado. Derrière les arbres, on devine les habitations des indiens au linge qui sèche. Un homme pêche à l'épervier. J'essaie de le photographier et nous restons près de lui. A chaque remontée du filet, vide, il se retourne vers nous et rigole... philosophe. Des îlots abritent des colonies de cormorans et d'aigrettes... bruit et odeur impressionnants ! Le lendemain, quand nous quittons le mouillage, c'est l'heure des enfants, sac au dos, qui se rendent à l'école en "kayuco". La brume se lève doucement sur la rivière qui "fume" et le spectacle est tout simplement magique. Nous ne regrettons pas nos deux semaines au Guatemala, deux semaines marquées par la verdure mais aussi la gentillesse et les sourires des habitants de ce beau pays. Nous leur souhaitons l'avenir de paix et de prospérité qu'ils méritent.

Epilogue : Grâce à notre pilote José, conseillé par un français au chantier, nous sortons presque sans toucher du Rio. Son père monte sur Anegada et nous guide. A la première alerte, José nous tire doucement par le mât, restant bien par notre travers, et un quart d'heure plus tard, nous sommes près de la bouée d'entrée qui, selon lui, ne marque pas du tout l'entrée du chenal (voir page pratique). Effectivement, nous sortons une cinquantaine de mètres plus au sud-est. José est un homme que nous aurions bien voulu rencontrer plus tôt !

Et remarquez le changement de couleurs !!! Retour au bleu !!!

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