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Etonnantes îles San Blas

Ma grande frustration ici encore plus qu'ailleurs, c'est de ne pas être photographe. Je n'y connais rien et ne suis pas bien équipée. De plus, je fais un blocage complet à photographier des personnes. Les maisons, les arbres, les poissons, pas de problème... mais les personnes, je me sens mal à l'aise. Je me sens "voyeuse", intruse, touriste... Je préfère laisser mon appareil dans ma poche, me remplir les yeux et le coeur, et essayer de discuter, de comprendre les gens. C'est pourquoi je vous renvoie pour de superbes photos aux sites d'un autre voilier suisse, Cercamon . Merci à eux pour ces images colorées magnifiques. Pour ma part, les quelques photos mises en ligne sont là pour compléter mon texte... sans prétention aucune !

Les îles San Blas sont habitées par les indiens kunas qui vivaient à l'origine dans la région du Darien, sur l'isthme de Panama. Ils ont petit à petit émigré vers les îles de la côte, mieux protégées des insectes, des serpents, des inondations et des autres tribus, tout en continuant à cultiver leurs terres sur le continent. L'arrivée des espagnols leur a amené bien des désagréments mais aussi le développement du commerce de la noix de coco. L'arrivée du coton a transformé la fabrication des molas, pièces de tissu appartenant au costume traditionnelle des femmes kunas, qui se faisaient jusque là en fibres naturelles locales. A la naissance de la République de Panama, en 1903, les autorités panaméennes ont débuté une période répressive et tenté d'éliminer les coutumes kunas. En 1925, les indiens se sont rebellés violemment et ont proclamé leur indépendance. Ils ont dû faire appel aux E-U pour les défendre contre la riposte militaire immédiate de Panama. Un compromis a été trouvé et depuis ce jour, les relations entre la région autonome du Kuna Yala, dirigée par le "congresso" et la République de Panama, sont bonnes, cette dernière ayant promis de respecter les traditions, la culture et les lois tribales des Kunas.

Ce petit cadre historique est bien nécessaire pour comprendre ce peuple étonnant, à cheval entre le monde moderne et des coutumes ancestrales qui font bien entendu la joie des voyageurs de tous types. Ma tante travaillait sur les bateaux de croisière comme infirmière il y a plus de cinquante ans et les San Blas se visitaient déjà. Les voiliers sont arrivés petit à petit et actuellement, en hiver, il y a presque autant de monde qu'aux Antilles ! Les Américains surtout sont très nombreux car ils font l'aller et retour entre Carthagène, Panama, Honduras, Belize, Cuba... Les Kunas ont donc développé leur commerce en fonction de ces nouveaux clients et dans certains mouillages, on se sent un peu assaillis. Mais il suffit de dire non gentiment et d'admirer leur dextérité à manier leur grosse pagaie, qui leur sert aussi de safran à la fin de leur mouvement. De notre côté, nous examinons toujours leur offre et négocions parfois une ou deux langoustes, une bonite ou de gros crabes dont les pinces sont presque de la taille de notre main. Les pirogues se déplacent aussi à la voile quand il y a un peu de vent et le spectacle est assez idyllique !



Les femmes ont développé le commerce des molas, qu'elles brodent patiemment dans leur hamac. Ces pièces font partie intégrante de leur costume. Ce sont des rectangles qui couvrent leur dos et leur poitrine et auxquelles sont cousus des manches bouffantes et un col coupés dans un tissu fleuri. Quand l'envie de shopping me prend, je fais monter la vendeuse de molas à bord et elle me sort toutes ses créations (+ celles de leur mère, tante, cousine, etc...). Pas encore de made in China par ici heureusement ! Je me régale à choisir dans tous ces motifs et couleurs celui deviendra un joli coussin de carré... ou un cadeau à ramener en Suisse.

C'est grâce à ces contacts que nous avons découvert un peu le monde des Kunas, du moins de ceux de cette partie touristique car la réalité est toute différente plus à l'est ou dans le golfe des San Blas. Nous espérons avoir le temps de découvrir aussi ces régions. Chaque île abrite une ou deux huttes, une ou deux familles qui toutes ont une histoire différente :

- sur une petite île au sud-est de Corgidup, dans les Eastern Lemmon Cays, Haïro et Jany font du pain tous les jours et vont le vendre en pirogue aux voiliers. C'est leur première expérience dans l'île. D'habitude, ils vivent à Panama City où Haïro, boulanger à l'origine, est maintenant enseignant à l'école primaire. Jany est vendeuse dans un magasin d'habillement pour dames. Tous deux poursuivent leurs études tout en travaillant et, sur l'île, vendent du pain pour se faire de l'argent et payer leurs diplômes. La société kuna étant matriarcale, c'était au tour de la maman de Jany de venir s'occuper des noix de cocos, selon une liste établie dans leur communauté d'origine. Elle a demandé à sa fille de venir l'aider et son beau-fils a suivi. Certaines communautés établissent un tournus de trois mois pour chaque famille, d'autres de deux mois. Haïro et Jany se plaisent là, apprécient le contact avec les voiliers car ils peuvent échanger facilement, parlant bien espagnol et anglais. Jany est une jeune femme moderne qui n'a pas envie de porter la tenue traditionelle alors que sa mère porte le costume même en ville. Je filme la tante de Jany qui refait sa parure de petites perles autour des mollets, impressionnée par le motif qui se forme automatiquement, grâce à un calcul pour le positionnement des perles qui me paraît valoir celui des baignoires qui se vident...


- dans les îles Coco Bandero, nous passons plusieurs jours seuls dans un mouillage superbe. Je profite de monter au mât pour quelques photos, c'est plus facile que de monter sur les cocotiers ! Nous allons rendre visite aux Kunas du coin. Seules les femmes sont là, les hommes étant partis pour la journée ramasser les cocos sur une autre île. Yoda parle bien espagnol car elle habite à Colon le reste de l'année, tout comme sa mère et sa tante. Ils sont originaires de l'île de Tigre et comme c'était le tour de sa mère de venir sur l'île et que sa soeur est enceinte, Yoda s'est sacrifiée pour la seconder. Elle ne se plaît pas et trouve le temps long car son fils a dû rester à Colon pour l'école. Les voiliers et donc les distractions sont aussi plus rares dans cette partie des San Blas.

- dans les Cayos Hollandeses du centre, Edilio vient nous trouver avec sa toute jeune femme. Ils nous demandent de recharger leurs téléphones portables, ce que nous faisons en échange de deux noix de coco. Adelia ne parle que le kuna et la communication est impossible. Ses molas ne sont vraiment pas jolis et pour la première fois je ne peux pas en acheter. Nous demandons une langouste à Edilio qui va la pêcher pour nous le lendemain. Lui vit à l'année sur l'île mais sa femme reste à Carti avec leurs deux enfants. Elle est venue quelques jours auprès de son mari avec le plus jeune des deux car l'aîné va à l'école. Elle ne peux plus repartir car le moteur de leur lancha est en panne. C'est un voilier ami qui la ramenera au village dans quelques jours.

- à Chichime, une famille nous dit aimer venir sur l'île car on y fait plus de "plata" (d'argent) qu'à Carti. C'est un mouillage très fréquenté et les indiens ne se gênent pas pour demander toujours plus à celui qui arrive plein de bons sentiments. Nous y avons fait nos premiers contacts avec les Kunas et en sommes repartis après deux jours car ils devenaient envahissants. Nous les avons véhiculés, dépannés, leur avons acheté des molas et finalement notre annexe était presque devenue la leur... Depuis, nous essayons de garder un peu nos distances... malheureusement.

L'avitaillement en produits frais est aléatoire dans ces îles. Les indiens consomment peu de fruits et légumes et vivent de noix de cocos, de poisson frais ou fumé et de quelques racines. Un bateau vient de temps en temps depuis le continent vendre ses produits et nous en profitons.

Ou alors nous nous rendons dans les îles-villages comme Nargana, Rio Azucar, Wichubhuala ou Nalunega. Les huttes occupent tout l'espace, séparées par des rues en sable bien balayées. C'est le travail des femmes, qui en sept équipes (pour les sept jours de la semaine), se relaient au signal de la conque, à cinq heures du matin, pour balayer le village, nous explique Federico, notre guide à Nargana. Par contre, devant leur hutte qui donne sur la mer, les détritus s'entassent, retenus par une petite barrière en bois. C'est à Carthagène, au musée de l'or, que j'en ai eu l'explication : depuis toujours, les habitants des lagunes ou des bords de mer ont étendu leur territoire en entassant les matériaux dont ils n'avaient plus l'usage... coquillages, bois, ossements, végétaux. Ainsi naissaient les "concheros". Les Kunas ont, semble-t-il, gardé cette habitude mais les matériaux sont moins naturels ! Dans ces villages, les enfants vont à l'école à la demie-journée : les petits le matin, les grands l'après-midi. Ils apprennent des rudiments d'anglais dès le primaire et le kuna aussi car certains enfants ne la parlent plus chez eux. L'heure de sport se fait dans la rue. Une fois l'école terminée, les enfants se couchent dans leur hamac, devant... la télévision, grand "progrès" amené par la fée électricité qui tisse sa toile au dessus des toits du village.


A Nalunega, nous rencontrons Theodoro... un personnage ! Il a pris conscience du problème des déchets et il déborde d'idées pour les utiliser. Il a créé un petit musée aux parois en bouteilles plastiques qu'il remplit tout d'abord d'autres matériaux. On voit qu'ici le temps n'est pas (encore ?) de l'argent ! Il fait des plantations dans des demi-bouteilles et souhaite montrer cela dans les autres villages. Il me demande de lui faire des tirages papiers de mes photos pour pouvoir expliquer son travail. Dans son musée, il explique toute l'histoire kuna à l'aide de peintures, qu'il a réalisées sur de la toile de vieux hamacs, et de bas-reliefs de sa fabrication également. Intéressant ! Dommage qu'il ne soit pas soutenu par le congresso qui n'a pas l'air très préoccupé par le problème des déchets. Nous voyons régulièrement des sacs poubelle flotter entre deux eaux. Des personnages indélicats demandent un dollar pour débarasser les plaisanciers et jettent les sacs à la mer un peu plus loin !


Les San Blas sont un paradis pour les pêcheurs avec tous ces îlots et ces récifs. Les langoustes ne dureront peut-être pas longtemps car malgré les incitations à les laisser grandir, les pêcheurs les prennent bien petites. A Nargana, un avion passe régulièrement les acheter, alors c'est tentant de faire de l'argent rapidement. Pierre se bat avec quelques poulpes et, depuis notre rencontre avec un requin-citron un peu curieux, n'ose plus trop aller sur les récifs plus profonds pour taquiner le poisson, de peur de les attirer. Alors il rentre souvent bredouille, n'ayant vu que de petites langoustes. Pour moi, c'est un plaisir de nager dans ces eaux claires et calmes sans risque de me faire couper les jambes par un bateau à moteur ou un jetski. Je vais jusqu'à la plage et fais le tour de l'île avant de me remettre à l'eau !

En été, peu de bateaux restent ici car de violents orages ont détruit l'électronique de quelques voiliers. Nous, on croise les doigts, on débranche ce qu'on peut débrancher et on se réfugie dans la cabine arrière, loin du mât, quand on entend l'orage se rapprocher. Pour l'instant nous ne l'avons vécu qu'une seule fois. Les pluies intenses pendant un ou deux jours nous permettent de remplir les réservoirs et quand le soleil est de retour, il nous offre un magnifique spectacle à l'heure de l'apéritif !

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